Tout part d’un article, paru dans le dernier « Ligne directe », et intitulé « Stoppons l’impunité : pour une France plus sûre ». Cet article est peut-être le concentré le plus significatif de la psychose actuelle de notre société qu’est la lutte contre l’insécurité. Je voudrais expliciter certains points, et montrer pourquoi cette position sécuritaire que défend Cédric Ramialison ave Nicolas Sarkozy est non seulement bête, mais également nocive.
Tout d’abord, il faut préciser que lorsque l’on parle de sentiment d’insécurité, on parle bien de sentiment. Et, les sentiments relèvent typiquement de l’idiosyncrasie, c’est à dire de ce qui est propre à chacun. Le sentiment d’insécurité vient en fait d’une peur éprouvée. On cherche certes en ce domaine, des critères objectifs qui puissent mesurer le degré d’insécurité de notre société, mais ces statistiques, si on les prend sur des évolutions de long termes, montrent au contraire que notre pays est beaucoup plus sûr aujourd’hui (le nombre d’homicide est en baisse constante ces 20 dernières années). Ainsi donc, il y a un décalage entre la réalité objective et les préoccupations en matière de sécurité. Nous sommes dans le domaine du ressenti, de la peur précisément, et il apparaît ridicule de vouloir lutter contre la peur des gens au niveau politique. En effet, cette peur étant personnelle, il appartient à chacun de vivre avec, et de la surmonter. Nous avons tous peur de quelque chose. Et, l’une des peurs les plus répandues est la peur de l’inconnu. Je n’énonce là rien de très profond, mais cette peur, c’est elle qui aujourd’hui gouverne nos société. On diabolise une frange non négligeable de la population : « jeunes », « immigrés », « banlieusards », « racailles », le tout dans un espèce d’amalgame qui fait de ces catégories un tout, qu’on redoute, et que l’on veut combattre, ou plus précisément, avoir le courage de combattre. C’est exactement ce que se proposait Nicolas Sarkozy, quand il parlait de « nettoyer les cités au kärcher », ou d’autres, quand ils parlaient de « sauvageons ». C’est cette peur que nous ressentons tous un moment ou un autre, qui donne cette importance particulière aujourd’hui au statut de la victime. On ressent par empathie ce que ressent chaque victime d’agressions qui confie, émue, son témoignage à la télévision. Et ceci a pour effet pervers d’enfermer les gens dans des catégories, ineptes et dangereuses : les victimes, les tortionnaires. Ces schémas semblent bien simples, et s’il est compréhensible que les émotions prennent le pas sur la raison, quand on est victime d’une agression, il est dangereux que ces mêmes émotions en viennent à devenir des principes qui nous gouvernent.
En effet, c’est là qu’intervient ce superbe article, qui se propose comme solution aux problèmes sociaux de la France de combattre l’impunité. Il est clair qu’au départ, cette volonté de punir vient de ce fondement irrationnel qu’est la peur. Elle apparaît au grand jour comme la volonté de justice de réparation, alors qu’à y regarder de plus près, cette politique du « coup pour coup », ou du « on va leur apprendre les bonnes manières », n’est en fait qu’une façon de combler sa sensation d’impuissance face à la menace qui nous submerge, nous étouffe. Et, cette politique est perverse, car son effet évident est de propager la même haine chez ceux qui sont victimes de cette lutte contre l’impunité. Leur peur à eux, ceux qui ne sont pas dans les bonnes grâces du système, se transforme en violence, et les schémas que leur propose la société deviennent les leurs : « alors comme ça on veut racailler ? » (Lunatic). La boucle est bouclée, et tout s’empire, chouette solution que nous propose la droite.
Interrogeons maintenant l’efficacité de la politique de répression. Tout d’abord, sachons que le rôle officiel de la prison est triple : protéger, punir, et réinsérer. Sur ces 3 rôles, seul le deuxième est sans conteste rempli aujourd’hui par nos prisons. En effet, sacrée punition que de devoir renoncer à tant d’années de sa vie, de vivre comme un paria, enfermé, dans des conditions dégradantes. Je ne m’attarderais pas sur les descriptions de la vie en prison, et de la dureté de l’enfermement, je vous renvoie pour cela au livre de Catherine Baker : « Pourquoi faudrait-il punir ? ». Et les deux autres rôles de la prison ? La réinsertion pose évidemment problème, et le chiffre de 31% de récidivistes, toute catégorie de prisonniers confondue, montre bien qu’on est loin d’un résultat satisfaisant. De plus, la prison détruit complètement un homme, et ses chances de retrouver un emploi. En effet, dans ce climat de peur, et de chômage, les chances d’un ancien prisonnier à retrouver du travail sont assez minces. Enfin, et c’est là que se pose la vrai question, l’exigence de protection de la société que porte la prison. Selon moi, cette idée est totalement utopique. En effet, s’il existe objectivement une catégorie de la population qui serait « dangereuse », alors, pourquoi les mettre en prison, puisqu’à terme ils seront relâchés ? De plus, ils risquent d’être encore plus dangereux, après avoir été enfermés si longtemps. Maintenant, si on se penche sur l’idée de dangerosité, il apparaît que cette notion est problématique. Un assassin est dangereux me direz-vous ? Oui mais voilà, les assassins en prison sont pour l’immense majorité des auteurs de crimes passionnels, qui ont été dangereux l’espace d’un instant, et pour les crimes de sang, le taux de récidive est infime. De plus, il est absurde de croire qu’enfermer des criminels nous protégera des autres. On voit bien que l’on enferme des gens ayant tué, et pourtant, il y a toujours de assassinats. Et il est clair que ce n’est pas la lutte contre l’impunité qui va changer ça. Un homme qui tue sa femme parce qu’elle le trompe ne réfléchie pas au nombre d’année de prison qui l’attendent. De plus, on peut se poser la question, pour certains types de délits, de la pertinence des réactions politiques. Quand un bus brûle à Marseille, on promet des punitions exemplaires aux incendiaires, et dans la semaine, un autre bus flambe. Pierre Billion de l’université de Tours dit : « le rappel à l’ordre du ministre (N. Sarkozy) peut être crédible pour un cercle éloigné des quartiers les plus difficiles. Ceux qui y vivent savent bien qu’au fond, rien n’a changé et que rien n’évoluera tant que l’on ne s’attaquera pas aux différentes formes de misère sociale et à leur conséquences ». Car, rappelons le, la réalité de la prison est la suivante : « Les dernières études conduites par l’administration pénitentiaire montrent que sur l’ensemble de la population carcérale :
- 59,5 % est sans qualification
- 44 % était en activité professionnelle avant d’être détenue
- 29,5 % est en difficulté de lecture. »
Alors, est-ce vraiment l’absence de répression, et le sentiment d’impunité qui favorise la criminalité, ou certaines conditions sociales ?
Je me permets pour finir de poser la question de la peine en elle-même, et de son intérêt. En effet, pourquoi punir ? On peut punir pour châtier, pour faire souffrir un coupable, pour obtenir une réparation, pour montrer l’exemple, et fantasme absolu, pour protéger le reste de la population. Toutes ces utilités peuvent être renversées. L’idée de réparation est absurde, on ne compense pas la perte d’un être cher, par la souffrance d’un autre. On peut à la limite apaiser un sentiment de vengeance, mais rien de plus. L’exemple, on l’a vu a semble-t-il une portée bien limitée. Il y a toujours eu des peines, et toujours eu des crimes, des délits. Donc, peut-être que s’il n’y avait pas de peine, chacun volerait, tuerait, violerait… Peut-être est-ce uniquement cette peur du châtiment qui nous pousse à nous conduire correctement. Oui mais voilà, c’est rarement par la menace que l’on gouverne les gens, et si l’on ne fait pas ce qui est illégal, c’est surtout parce qu’on nous a appris a vouloir ne pas le faire. Aujourd’hui, si mon voisin m’énerve, je peux déjà le tuer, il suffit de bien s’organiser pour ne pas se faire prendre. Pourtant je ne le tue pas. D’autres peurs, d’autres interdits nous gouvernent, et ce n’est pas la peine en soi qui nous empêche de faire ce qui est proscrit. De plus, on a déjà vu que la peine n’est en rien garantie de sécurité. Au contraire, elle ne peut que provoquer une douleur et une rage chez celui qui en est le récipiendaire. La punition, semble en fait ancrée dans un schéma de pensée patriarcal. On punit celui qui s’est mal comporté, pour qu’il comprenne à quel point son acte était « mauvais ». Cette façon de voir les choses relève évidemment de la morale judéo-chrétienne, que l’on rejette facilement, sans pour autant discerner toutes ses applications. Mais peut-être, peut-on commencer à penser notre société autrement que dans ce type de rapport de domination et d’écrasement de ceux qui sortent du rang ? Et, remettre en question ces valeurs morales douteuses qui se veulent centrales ?
Pour conclure, je pense qu’il faudrait sortir du fantasme par rapport à l’insécurité. Il existe évidemment de l’insécurité. Il en a toujours existé, et il en existera toujours. C’est un impondérable. Chaque fois que l’on sort de chez soi, on risque de se prendre un bus, comme on risque de se faire tuer par un psychopathe, mais je ne vois pas là de raison suffisante pour penser le monde avec son ventre, et vouloir répondre par la démonstration de force aux cris de ceux qui ne s’adaptent pas. Cherchons plutôt à vivre ensemble, et à poser les vraies questions, comme de savoir dans quelle société nous voulons vivre. Entre la peur, la punition, la morale et la possibilité de partager les richesses et l’accès à la société avec tous les gens qui vivent autour de nous, personnellement, le choix est vite fait…