jeudi 7 juin 2007

Notes sur le livre de Loïc Wacquant : Les prisons de la misère

Loïc Wacquant est un sociologue français qui vit et enseigne aux Etats-Unis. Il fait partie du collectif Raison d’Agir, un collectif d’intellectuel monté en 1995 autour de Bourdieu.

J’ai été poussé à lire ce livre par un ami prof de philo à qui j’avais parlé de notre question de la peine. Il m’a dit de lire ce livre ainsi que tout ceux de la collection Raison d’Agir.

Je pense que la thèse de ce livre peut se résumer assez rapidement : Loïc Wacquant montre comment il y a eu un mouvement visant à criminaliser la misère pour imposer aux masses déshéritées le salariat précaire aux Etats-Unis, et comment ce mouvement atteint nos sociétés européennes. C’est ce qu’il appelle le passage de l’Etat-providence à l’Etat-pénitence.

La force de ce livre me semble la construction sur des données factuelles. Nous sommes assommés de chiffres choquants, de citations odieuses. On a l’impression que Wacquant met au jour l’idéologie qui sous-tend à cette politique de domination, qu’il nous invite à l’indignation face à l’évidente inanité qui précède la mise en place de l’ordre néo libéral, dont ce qu’il décrit est l’envers nécessaire.

Wacquant met au jour les propos des lobbys américains qui théorisent la tolérance zéro, et l’idéologie du « carreau cassé », dans la foulée des expériences menées à New-York. Il montre par exemple comment le Manhattan Institute, un puissant think-tank néo conservateur a fait de Charles Murray un intellectuel reconnu, en diffusant ses thèses (p. 14, 15, 16, 17). Il faut lire les passages cités de The Bell Curve, un des livres de Murray qui explique que les inégalités raciales et de classes dépendent de différences de QI.

Pour Wacquant, le triptyque fédérateur de cette nouvelle droite américaine est « marché libre/responsabilité individuelle/valeurs patriarcales », et la méthode pour toucher la classe moyenne qui vote est « le harcèlement permanent des pauvres dans les espaces publiques ». Avec au sein de la police new-yorkaise une culture très stricte du résultat.

Bref, pas besoin d’insister, ce livre, écrit il me semble avant 2000 décrit là de manière quasi prophétique l’évolution de notre société.

Je n’ai cité là qu’un des aspects développés dans ce petit livre très dense. L’analyse continue toujours aussi incisive et éclairante.

Je ne sais que penser finalement de ce que nous apprend le livre. La mise en lumière du tournant que prend nos sociétés remplis à la fois d’indignation et d’un sentiment d’impuissance face à la tâche qui attend toute ambition de résistance. Wacquant montre que notre problématique de réflexion sur la peine et le châtiment s’inscrit dans un mouvement d’ampleur plutôt récent et qui doit être compris de manière globale. Cette inflation carcérale n’est que le versant de la précarisation instaurée par l’évolution socio-économique des 30 dernières années. Et toute tentative d’analyse puis de résistance et de contre proposition ne pourra faire l’économie d’une vision globale du problème et de nos sociétés.

Loïc Wacquant : Les prisons de la misère ; éd. Raisons d'Agir ; 7€

vendredi 11 mai 2007

La Souffrance comme racine de peine.

Réfléchir sur le concept de peine revient à nous interroger sur tout ce qui est de près ou de loin lié à la souffrance dans notre quotidien. Dans quelle mesure cette souffrance peut–elle avoir un sens ? Existe–t-il une souffrance saine, où bien toutes les souffrances de nos vies sont-elles à éliminer ? Il me semble que dans l’idée de peine, il y a l’idée de souffrance infligée; soit dans le but de faire comprendre une erreur, soit par pur sentiment vengeur.

La souffrance de la peine comme outil de vengeance pourrait alors s’identifier de la sorte : la souffrance d’autrui serait un échappatoire de sa propre souffrance. Vision un peu noire de nos consciences qui semble bien être à l’œuvre dans nos sociétés ou l’individu ne peut s’encombrer d’aucune forme de culpabilité.

Quant à envisager la souffrance comme moyen de construction de personnalité, où simplement comme outil de formation, il faut pouvoir s’interroger sur sa légitimité chez un individu. Dans quelle mesure une souffrance peut-elle permettre à un individu, pas forcément de se construire, mais avant toute chose d’y trouver un sens positif dans sa vie. Sans doute quand celle-ci n’émane pas de la volonté d’autrui, mais bien d’une rencontre personnelle. Une chance de mieux se connaître.

lundi 16 avril 2007

Laïciser la justice 2 : le mot pénal

Pourquoi le Code Pénal est le seul code qui prend son nom de la sanction et non de son champs d'application ?

Si le Code de la Route s'appelait Code des Prunes ?
Si le Code Civil s'appelait Code des Dommages et Intérêts ?
Et si le Droit International s'appelait Droit des Ultimatums, des Embargos et des Guerres ?

Y-a-t-il là un ancrage culturel à la peine, au châtiment, à la souffrance infligée en toute légitimité et bonne conscience à la violence légitime...?

Ou bien y-a-t-il une sorte de pudeur à définir ce que l'on veut protéger par ce corpus de lois ?

On m'objecte : mais ce n'est qu'une question de termes.
C'est vrai que l'on peut toujours faire une pirouette et changer de termes sans changer le fond.

C'est possible mais les mots signifient, marquent, structurent une culture : tant que le mot pénal sera au centre du système, la peine sera au centre et non la chose que l'on veut protéger. Quand on change les mots, la culture n'évolue pas tout de suite ni mécaniquement : tout le travail reste à faire mais l'outil sera adapté.

Foucault et la prison (2) : la création du "milieu"

Réflexions à partir de la lecture de l'entretien de Michel Foucault avec K. S. Karol paru dans le Nouvel Obs' n° 585 en 1976 « Crimes et châtiments en URSS et ailleurs... » (dans Foucault – Dits et Écrits – Vol. II - Gallimard)

Réflexions à partir de la lecture de l'entretien de Michel Foucault avec K. S. Karol paru dans le Nouvel Obs' n° 585 en 1976 « Crimes et châtiments en URSS et ailleurs... » (dans Foucault – Dits et Écrits – Vol. II - Gallimard)


Deuxième partie


Le contexte

Nous sommes en 1976, un reportage Télé fait état de l'existence d'un camp de détention en pleine ville à Riga et suscite l'émoi de l'opinion publique. K. S. Karol interroge Michel Foucault sur ce sujet.


Les thèmes

Au fil de l'entretien Foucault développe trois de ses thèmes les plus récurrents autour de l'univers carcéral :
- l'instauration de la discipline comme nécessité pour le système de production industriel,
- la création du "milieu" comme élément sociologique séparé du peuple,
- la prison comme fait politique.


Par souci de' brièveté nous avons traité le premier thème dans l'article Foucault et la prison (1) : la discipline. Nous traitons ici les deux autres thèmes.Le deuxième thème est la prison comme outil de création du milieu.

Foucault développe ce thème à partir d'une réflexion du journaliste concernant le supposé mépris des prisonniers politique vis-à-vis des « droit commun ». Il soutient que la distance que les « politiques » gardent vis-à-vis des « droit commun » n'est pas due au mépris mais à la méfiance car les « droit commun » sont des complices du régime : les « politiques » doivent s'en méfier pour leur sécurité et s'en distinguer pour bien affirmer leur différence. Foucault fait le parallèle avec ce qui s'est produit au cours du XIX siècle en Europe. Dans l'ancien régime les délinquants faisaient partie du peuple, ils y étaient intégrés : le besoin de développer un esprit de discipline rendait nécessaire de les séparer du peuple socialement et culturellement. Les gens du peuple ne devaient plus les considérés comme des leurs et de plus devaient les rejeter moralement. La généralisation de la prison a été l'outil de cette séparation : la prison est devenue le lieu de séparation entre les délinquants et le peuple et de socialisation entre eux.

Par cette opération l'esprit de discipline était ainsi intériorisé chez les gens du peuple. Mais l'opération ne s'est pas limité à cela : en fait le milieu est devenu un sorte d'armée de réserve pour le pouvoir. C'est le milieu qui s'exécutait d'une série de trafics illégaux que le pouvoir ne pouvait exercer directement et de plus il fournissait la main d'oeuvre pour les basses besognes telles que monter des provocations, briser des grèves, créer des milices...

A partir de ces considérations Foucault introduit le thème de la prison comme fait politique : pour lui ce n'est pas la qualité des personnes détenues qui fait la différence, la prison ne devient pas politique quand elle garde des prisonnier politiques. Bien au contraire la prison réservée aux « droit commun » (comme l'affichent les autorités soviétiques), bien visible, en pleine ville est en elle même, par son existence même, politique dans le sens qu'elle est le symbole concret et tangible de la fonction de discipline que l'état assure.

Foucault et la prison (1) : la discipline

Réflexions à partir de la lecture de l'entretien de Michel Foucault avec K. S. Karol paru dans le Nouvel Obs' n° 585 en 1976 « Crimes et châtiments en URSS et ailleurs... » (dans Foucault – Dits et Écrits – Vol. II - Gallimard)

Première partie

Le contexte

Nous sommes en 1976, un reportage Télé fait état de l'existence d'un camp de détention en pleine ville à Riga et suscite l'émoi de l'opinion publique. K. S. Karol interroge Michel Foucault sur ce sujet.

Les thèmes

Au fil de l'entretien Foucault développe trois de ses thèmes les plus récurrents autour de l'univers carcéral :
- l'instauration de la discipline comme nécessité pour le système de production industriel,
- la création du "milieu" comme élément sociologique séparé du peuple,
- la prison comme fait politique.

Par souci de' brièveté nous traitons ici le premier thème : les deux autres suivent.

Le premier thème est le dépassement de la terreur et l'instauration de la discipline dans le contrôle du peuple. Avant la révolution industrielle, si le peuple était un peu trop insoumis, le roi envoyait son armée qui avec massacres, pillages et viols semait la terreur et ramenait l'ordre. Avec l'avènement du mode de production industriel, la terreur devenait contre-productive car trop ponctuelle et trop destructive : il fallait que le peuple soit discipliné au quotidien et d'une façon intériorisée. Pour Foucault sur ce point il n'y a pas de différence entre entre les pays de l'est et le monde occidental, car pour lui ce qui fait la différence entre deux systèmes ce n'est pas tant la propriété publique des moyens de production ni la planification de l'économie mais le mode de production lui même : le mode de production étant le même à l'ouest et à l'est, nous trouvons des deux côtés le même besoin de discipline généralisée et intériorisée.

La prison est le symbole de cette discipline poussée à l'extrême : ceux qui n'acceptent pas la discipline du système industriel, sont enfermés dans un lieu où la discipline est encore plus dure, plus totale et arbitraire : cet aspect arbitraire ajoute au symbole un aspect de pouvoir absolu. La prison devient ainsi la dernière rémanence de l'absolutisme de l'ancien régime.

mardi 10 avril 2007

La culture en milieu carcéral

Ce texte est extrait d'un article que Jean-Baptiste Jobard a écrit pour "Prison-Justice" (la revue de l'ARAPEJ dont il est membre du comité de rédaction). Jean-Baptiste Jobard est également membre du Conseil d'Administration de l'ARAPEJ.

Limites et obstacles au développement culturel en milieu carcéral

« La prison, peine privative de liberté est dans son principe fondamental contraire à la création, qui la suppose » Michelle Perrot


Inflation carcérale, programme immobilier de construction de nouvelles prisons, absence de volonté politique de développement des peines alternatives à la détention, déficit de réflexion sur le sens de la peine, contexte «sécuritaire», inexistence d’une instance de contrôle de l’institution et d’évaluation des politiques pénales…Le contexte actuel limite les possibilités de croire à un rôle important du développement culturel en milieu carcéral.
[...] La question est [...] de savoir pourquoi dans la réalité de l’exécution des sanctions pénales, il est difficile aux actions culturelles de trouver leurs places.

De quelques obstacles à la culture en prison

[...] Ce manque de volonté est le produit des rouages d’une institution totale (telle que la décrivait Goffman dans Asile) dont peu d’observateurs ne constatent l’incompatibilité manifeste de ses deux fonctions : la garde et la resocialisation des condamnés. L’injonction paradoxale fondamentale dans laquelle évoluent détenus et personnels ne laisse que peu de place à un véritable espace d’intervention pour les actions artistiques. Pour l’ethnologue Léonore Le Caisne « Pénitentiaires et détenus se trouvent donc dans une situation en miroir : les uns inclus et relégués, les autres exclus et incarcérés »1 et dans ce contexte les représentations sociales que ces catégories se font de la culture les poussent rarement à considérer spontanément comme importantes les actions artistiques en détention. [...] Cette culture propre à la prison se caractérise par une aliénation subtile de l’identité. Être en prison ce n’est pas seulement être placé entre quatre murs mais c’est être mis dans une situation où « il est impossible de se construire ou de reconstruire (…), un lieu de déconstruction de soi2 ». [...] Un autre travers chez les artistes et opérateurs culturels est la difficulté qu’ils ont, parfois, à concevoir leur démarche comme partie intégrante de la dynamique principale qui devraient gouverner toutes initiatives en direction du milieu carcéral : le principe de l’accès au droit. En l’occurrence, il s’agit de l’accès au droit à la culture mais il importe de ne pas séparer ce maillon de la chaîne des autres : accès au droit à la santé, aux droits sociaux, au droit du travail, à l’éducation etc. Il arrive encore que les intervenants culturels, victimes d’une sorte « d’ethnocentrisme professionnel » se posent davantage de questions sur la nature de leur action (suis-je dans la culture ? ou dans l’infamant socio-culturel ? Ma démarche repose-t-elle assez sur la sacro-sainte « exigence artistique » ?) que sur la manière dont elle peut et doit s’articuler, entrer en cohérence, trouver une synergie avec les initiatives des autres intervenants dans cette perspective fondamentale de l’accès au droit.

Culture en prison : utopie et résistances


La difficulté à considérer avec optimisme l’impact profond du travail culturel en milieu carcéral amène à se ré-interroger sur les principes fondamentaux qui gouvernent cette action et notamment à revenir sur un concept cardinal : celui de la transformation.
En effet, sur quoi repose le projet de la prison républicaine3 ? Sur la même idée qui conduit à proposer une action artistique à des détenus : l’idée qu’un homme n’est pas réductible à un acte (aussi délictueux ou criminels fut-il) et qu’il est capable d’évolution. « Désigner quelqu’un substantivement comme criminel signifie nier en lui tous les autres aspects de sa vie qui ne sont pas fondamentalement criminels » écrivait déjà Hegel. Edgar Morin ne dit pas autre chose en soulignant « qu’essayer d’expliquer, de comprendre les conditions d’un acte criminel n’est pas pour autant l’ignorer ou l’excuser. Il est là. Mais cela étant dit, il est permis de le situer et de ne pas réduire tout ce qui fait partie de l’être à l’acte, de l’enfermer dans cet acte passé, surtout alors que le temps passe après cet acte passé, de l’enfermer toujours dans la réitération de cet acte comme si c’était le seul acte de son existence. » Justement qu’est-ce que proposer un projet artistique à un prisonnier si ce n’est « ne pas le réduire à un seul acte de son existence » et ne pas réduire sa qualité d’homme à sa seule condition –temporaire- de détenu et de coupable, ce en quoi, même en détention, consiste déjà une première liberté. Il est bien évident que préparer un coupable à se réinsérer est « le plus grand service que l’institution peut rendre au détenu qu’un jour elle doit bien relâcher et par contrecoup à la société qui doit alors l’accueillir »4. Toute la difficulté est alors, en quelque sorte, de s’adresser à l’homme pour toucher le coupable, c'est-à-dire qu’une réinsertion ne peut se concevoir sans un travail préalable sur le mal commis (auprès de la victime et du corps social dans son entier).

Il s’agit de tenir à la fois le fait que l’acte criminel n’est pas effacé, ne peut pas être effacé, ne sera jamais effacé avec le fait que celui qui l’a commis peut malgré tout se transformer. Dans quelle mesure, l’action artistique peut aider le détenu à accomplir cette démarche personnelle très exigeante de préhension et de dépassement de sa culpabilité ? Il y a probablement dans l’expression artistique une mise en mouvement de ressorts intimes et profonds favorisant simultanément une renarcissisation et une fragilité propre à l’évolution personnelle. Lorsque ces effets spécifiques de l’expression artistique sont travaillés et inclus dans le cadre plus global de l’accès aux droits, alors on assiste à rien de moins que la réactivation du rôle républicain de la prison. Il s’agit non seulement de réaffirmer que malgré la peine affligée, le détenu reste partie intégrante du corps social mais son retour est attendu, dès lors qu’on lui aura donné les moyens de se transformer lui-même.

On le voit ses perspectives théoriques sont extrêmement difficiles à saisir, à concrétiser et elles ne seront jamais atteintes tant que nous nous placerons dans la fatalité de cette oscillation permanente entre les deux missions de l’institution. Hélas l’expérience de ces deux dernières décennies tend à prouver que le développement culturel en milieu carcéral n’a pas été capable de sortir la prison de sa schizophrénie.

Ainsi, nous sommes contraints de positionner l’action des intervenants culturels dans une autre oscillation permanente : entre utopie et résistance. Utopie en affirmant qu’ils sont par le principe même de leur action dans la réactivation des objectifs républicains de la prison mais condamnés, en même temps par le système que j’ai essayé de décrire, à l’impossibilité d’atteindre ses objectifs et que, cela étant, ils ne peuvent finalement être que dans la résistance aux effets les plus délétères de la prison et à ses tendances les plus rétrogrades, primaires et bassement (mais humainement) vengeresses.

1 Page 77 Prison, une ethnologue en centrale Editions Odile Jacob
2
Page 13 Prison, une ethnologue en centrale Editions Odile Jacob
3
J’entends par là : la prison républicaine depuis 1981, c'est-à-dire depuis qu’elle est débarrassée de l’ombre de la guillotine même si cette ombre existe toujours d’une autre manière à travers le « temps infini » pour reprendre l’expression d’AM Marchetti des perpétuités.
4
Claude Lucas Suerte. Terres humaines

Quelle cohérence pour Sarko ?


Lu dans http://philomag.com/article,dialogue,nicolas-sarkozy-et-michel-onfray. Passage d'un entretien entre Michel Onfray et Nicolas Sarkosy

M. O. : Je ne suis pas rousseauiste et ne soutiendrais pas que l'homme est naturellement bon. À mon sens, on ne naît ni bon ni mauvais. On le devient, car ce sont les circonstances qui fabriquent l'homme.

N. S. : Mais que faites-vous de nos choix, de la liberté de chacun ?

M. O. : Je ne leur donnerais pas une importance exagérée. Il y a beaucoup de choses que nous ne choisissons pas. Vous n'avez pas choisi votre sexualité parmi plusieurs formules, par exemple. Un pédophile non plus. Il n'a pas décidé un beau matin, parmi toutes les orientations sexuelles possibles, d'être attiré par les enfants. Pour autant, on ne naît pas homosexuel, ni hétérosexuel, ni pédophile. Je pense que nous sommes façonnés, non pas par nos gènes, mais par notre environnement, par les conditions familiales et socio-historiques dans lesquelles nous évoluons.

N. S. : Je ne suis pas d'accord avec vous. J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie.

Alors Nicolas c'est la liberté ? C'est l'inné ? Ou c'est n'importe quoi pourvu que ça mousse et ça fasse suffisamment lieu commun ? Quand même quand c'est très rapproché ça peut faire tilt !

lundi 9 avril 2007

Le mérite, un autre facteur d'exclusion

Le mot mérite revient assez souvent dans les propos de Nicolas Sarkozy, à travers la description de son projet de société. Et il semble effectivement que le mérite est une notion centrale dans notre société. C’est cela qui forme la méritocratie, système de gouvernement censé être à l’œuvre en France. Mais cette notion de mérite pose bien des problèmes, tant au niveau de la réalité de la méritocratie que dans ce qu’elle porte de valeur morale. Enfin, le mérite semble être dans la bouche de Nicolas Sarkozy une moralité dont le but est à la fois de marquer clairement ceux qui ne méritent pas, de justifier leur mise à l’écart, et de confirmer les positions établies. Alors, en quoi l’utilisation du mérite par Nicolas Sarkozy est-il un facteur d’exclusion ?

Dans un premier temps, on peut noter que le mérite est « ce qui rend quelqu’un (ou sa conduite) digne d’estime, de récompense eu égard aux difficultés surmontées» (Grand usuel Larousse). Ainsi, il apparaît normal, d’un point de vue moral que chacun ait ce qu’il mérite. Et dans l’autre sens, il semble juste que celui qui occupe un poste, ou profite d’un bien au sein de la société, le fasse parce qu’il l’a mérité. Quoi de plus beau que la jouissance méritée ? Après l’effort le réconfort. Toutes ces idées justifient pleinement que soit établie la difficile méritocratie, où les postes de direction de l’état ne sont non pas confiés à certains selon un privilège de caste, mais en fonction de « ensemble des qualités intellectuelles et morales particulièrement digne d’estime » de l’individu (Grand Usuel Larousse). Et c’est, en France, à travers le système des grandes écoles que se réalise la méritocratie. Ces institutions sont d’un accès universel, à condition de réussir le concours d’entrée, anonyme, et sélectif. Après deux années de classe préparatoire, où l’on accepte de se soumettre à un rythme de travail, dans une filière qui se veut plus difficile, et plus exigeante que l’université, on a la possibilité d’accéder à la grande école, souvent synonyme d’emploi. Alors quoi ? Quel est le problème avec cette idée de mérite ?

Et bien tout d’abord, il y a un problème dans la réalité de ce qu’est la méritocratie. Tout le monde s’en rend compte, Catherine Rollot dans Le Monde daté du 16 novembre 2006, montre que « la proportion des élèves d’origine modeste dans les quatre plus grandes écoles (Polytechnique, ENA, HEC, ENS) a fortement chuté, passant de 29% au milieu des années 1950 à seulement 9% au milieu des années 1990. Dans le même temps, celle des enfants de cadres et de professions intellectuelles supérieures a atteint 85% du total des étudiants de ces institutions » (Le Monde 16 nov. 2006). Ces chiffres sont révélateurs du dysfonctionnement de la méritocratie scolaire. Ce concept ne renvoie donc plus à une réalité effective. Mais au niveau de l’idée, le mérite pose aussi problème. En effet, il semble bien simple de parler de mérite, et à posteriori de sélection par le mérite quand les données de départ des individus sont si différentes. Si le mérite se mesure aux difficultés surmontée, il semble que les gens partant d’une « bonne situation », tant au niveau matériel qu’au niveau du bagage culturel sont désavantagés. Or il n’en est rien. Le mérite en fait me semble résulter d’une morale assez simpliste, qui veut que ceux qui font beaucoup d’efforts pour se dégager de leur condition sociale (quand elle n’est guère brillante à priori) ait le droit à l’aboutissement. Seulement, qui détermine cela ? Et ensuite, que fait-on des autres ?

C’est là, il me semble que se situe la réelle portée du mérite très présent dans le discours de Sarkozy. Son message qui se veut positif s’adresse aux gens, voire aux « vrais gens », et quand il dit mérite, il s’érige en autorité morale qui condamne ceux à côté de qui les gens vivent. Tous ceux qui ne respectent pas les règles, qui profitent du système. Il a même tendance parfois à déborder sur le champ de la justice, tant il est imprégné de son autorité (voir ses critiques contre les juges de Bobigny). Il représente donc la « France qui se lève tôt », celle qui souffre des agressions, et se plaint de l’impunité. Mais à travers cette description des gens méritant se dégage le dessin de ceux qui ne méritent pas. Et la séparation est simple pour celui qui veut « mettre la morale au cœur de [son] projet politique » (Pacte républicain du 11 février 2007) : « on doit mettre en prison ceux qui le méritent, et on ne doit pas mettre en prison ceux qui ne le méritent pas » (audition du 10 mai à l’assemblée nationale). Il me semble ici que se dessine une exclusion arbitraire, faite pour plaire aux gens. Mais, "la morale est la faiblesse de la cervelle" (Rimbaud), et Sarkozy s’adresse réellement à la faiblesse de l’esprit chez les citoyens. Il parle à leur peur, et réconforte : « les honnêtes gens qui partent le matin au travail n’ont pas à baisser les yeux devant leurs agresseurs de la veille », et dans l’autre sens, il flatte : « cessons de punir la réussite ». Il veut abolir le rempart entre la classe moyenne et la prospérité, mais il semble à y regarder de plus près, qu’il s’agit en fait de justifier moralement ceux qui sont déjà en haut. Ces mêmes « vrais gens » à qui on a montré qu’il existait des gens plus bas, des gens qui « méritaient » la prison, sont poussés à admettre qu’il y a des gens plus riches, des gens au dessus. Et cela, selon la même morale, car Sarkozy veut « dire au grand patron qui gagne beaucoup d’argent qu’il est sain de gagner de l’argent quand on l’a mérité parce qu’on a contribué à créer beaucoup d’emplois et beaucoup de valeur » (discours d’Agen 21 juin 2006). Cela ressemble fort en définitive à une justification morale du nivellement de la société.

Pour conclure, on peut dire que le mérite est pour Sarkozy un moyen d’exclure les non méritants. Exclure les marginaux, les délinquants, dont on règle la question simplement : ils méritent la prison, ils méritent des peines de plus en plus lourdes… Et on ne se pose pas plus de question. Et ensuite, exclure des « positions élevées », de la richesse, ceux qui n’y sont pas, car toute place au sommet s’acquiert au mérite, tout litigieux qu’il soit. Pour finir, Sarkozy use pour sa campagne d’une position d’autorité morale, car selon lui « la crise actuelle est d’abord une crise des valeurs. C’est une crise morale » (Pacte républicain). Et, celui qui justifie sa position par de fréquentes références à son vécu, et aux épreuves qu’il a traversé, peut se poster alors en candidat de la morale, de l’ordre.

Le fantasme de la sûreté.

Tout part d’un article, paru dans le dernier « Ligne directe », et intitulé « Stoppons l’impunité : pour une France plus sûre ». Cet article est peut-être le concentré le plus significatif de la psychose actuelle de notre société qu’est la lutte contre l’insécurité. Je voudrais expliciter certains points, et montrer pourquoi cette position sécuritaire que défend Cédric Ramialison ave Nicolas Sarkozy est non seulement bête, mais également nocive.

Tout d’abord, il faut préciser que lorsque l’on parle de sentiment d’insécurité, on parle bien de sentiment. Et, les sentiments relèvent typiquement de l’idiosyncrasie, c’est à dire de ce qui est propre à chacun. Le sentiment d’insécurité vient en fait d’une peur éprouvée. On cherche certes en ce domaine, des critères objectifs qui puissent mesurer le degré d’insécurité de notre société, mais ces statistiques, si on les prend sur des évolutions de long termes, montrent au contraire que notre pays est beaucoup plus sûr aujourd’hui (le nombre d’homicide est en baisse constante ces 20 dernières années). Ainsi donc, il y a un décalage entre la réalité objective et les préoccupations en matière de sécurité. Nous sommes dans le domaine du ressenti, de la peur précisément, et il apparaît ridicule de vouloir lutter contre la peur des gens au niveau politique. En effet, cette peur étant personnelle, il appartient à chacun de vivre avec, et de la surmonter. Nous avons tous peur de quelque chose. Et, l’une des peurs les plus répandues est la peur de l’inconnu. Je n’énonce là rien de très profond, mais cette peur, c’est elle qui aujourd’hui gouverne nos société. On diabolise une frange non négligeable de la population : « jeunes », « immigrés », « banlieusards », « racailles », le tout dans un espèce d’amalgame qui fait de ces catégories un tout, qu’on redoute, et que l’on veut combattre, ou plus précisément, avoir le courage de combattre. C’est exactement ce que se proposait Nicolas Sarkozy, quand il parlait de « nettoyer les cités au kärcher », ou d’autres, quand ils parlaient de « sauvageons ». C’est cette peur que nous ressentons tous un moment ou un autre, qui donne cette importance particulière aujourd’hui au statut de la victime. On ressent par empathie ce que ressent chaque victime d’agressions qui confie, émue, son témoignage à la télévision. Et ceci a pour effet pervers d’enfermer les gens dans des catégories, ineptes et dangereuses : les victimes, les tortionnaires. Ces schémas semblent bien simples, et s’il est compréhensible que les émotions prennent le pas sur la raison, quand on est victime d’une agression, il est dangereux que ces mêmes émotions en viennent à devenir des principes qui nous gouvernent.

En effet, c’est là qu’intervient ce superbe article, qui se propose comme solution aux problèmes sociaux de la France de combattre l’impunité. Il est clair qu’au départ, cette volonté de punir vient de ce fondement irrationnel qu’est la peur. Elle apparaît au grand jour comme la volonté de justice de réparation, alors qu’à y regarder de plus près, cette politique du « coup pour coup », ou du « on va leur apprendre les bonnes manières », n’est en fait qu’une façon de combler sa sensation d’impuissance face à la menace qui nous submerge, nous étouffe. Et, cette politique est perverse, car son effet évident est de propager la même haine chez ceux qui sont victimes de cette lutte contre l’impunité. Leur peur à eux, ceux qui ne sont pas dans les bonnes grâces du système, se transforme en violence, et les schémas que leur propose la société deviennent les leurs : « alors comme ça on veut racailler ? » (Lunatic). La boucle est bouclée, et tout s’empire, chouette solution que nous propose la droite.

Interrogeons maintenant l’efficacité de la politique de répression. Tout d’abord, sachons que le rôle officiel de la prison est triple : protéger, punir, et réinsérer. Sur ces 3 rôles, seul le deuxième est sans conteste rempli aujourd’hui par nos prisons. En effet, sacrée punition que de devoir renoncer à tant d’années de sa vie, de vivre comme un paria, enfermé, dans des conditions dégradantes. Je ne m’attarderais pas sur les descriptions de la vie en prison, et de la dureté de l’enfermement, je vous renvoie pour cela au livre de Catherine Baker : « Pourquoi faudrait-il punir ? ». Et les deux autres rôles de la prison ? La réinsertion pose évidemment problème, et le chiffre de 31% de récidivistes, toute catégorie de prisonniers confondue, montre bien qu’on est loin d’un résultat satisfaisant. De plus, la prison détruit complètement un homme, et ses chances de retrouver un emploi. En effet, dans ce climat de peur, et de chômage, les chances d’un ancien prisonnier à retrouver du travail sont assez minces. Enfin, et c’est là que se pose la vrai question, l’exigence de protection de la société que porte la prison. Selon moi, cette idée est totalement utopique. En effet, s’il existe objectivement une catégorie de la population qui serait « dangereuse », alors, pourquoi les mettre en prison, puisqu’à terme ils seront relâchés ? De plus, ils risquent d’être encore plus dangereux, après avoir été enfermés si longtemps. Maintenant, si on se penche sur l’idée de dangerosité, il apparaît que cette notion est problématique. Un assassin est dangereux me direz-vous ? Oui mais voilà, les assassins en prison sont pour l’immense majorité des auteurs de crimes passionnels, qui ont été dangereux l’espace d’un instant, et pour les crimes de sang, le taux de récidive est infime. De plus, il est absurde de croire qu’enfermer des criminels nous protégera des autres. On voit bien que l’on enferme des gens ayant tué, et pourtant, il y a toujours de assassinats. Et il est clair que ce n’est pas la lutte contre l’impunité qui va changer ça. Un homme qui tue sa femme parce qu’elle le trompe ne réfléchie pas au nombre d’année de prison qui l’attendent. De plus, on peut se poser la question, pour certains types de délits, de la pertinence des réactions politiques. Quand un bus brûle à Marseille, on promet des punitions exemplaires aux incendiaires, et dans la semaine, un autre bus flambe. Pierre Billion de l’université de Tours dit : « le rappel à l’ordre du ministre (N. Sarkozy) peut être crédible pour un cercle éloigné des quartiers les plus difficiles. Ceux qui y vivent savent bien qu’au fond, rien n’a changé et que rien n’évoluera tant que l’on ne s’attaquera pas aux différentes formes de misère sociale et à leur conséquences ». Car, rappelons le, la réalité de la prison est la suivante : « Les dernières études conduites par l’administration pénitentiaire montrent que sur l’ensemble de la population carcérale :

- 59,5 % est sans qualification

- 44 % était en activité professionnelle avant d’être détenue

- 29,5 % est en difficulté de lecture. »

Alors, est-ce vraiment l’absence de répression, et le sentiment d’impunité qui favorise la criminalité, ou certaines conditions sociales ?

Je me permets pour finir de poser la question de la peine en elle-même, et de son intérêt. En effet, pourquoi punir ? On peut punir pour châtier, pour faire souffrir un coupable, pour obtenir une réparation, pour montrer l’exemple, et fantasme absolu, pour protéger le reste de la population. Toutes ces utilités peuvent être renversées. L’idée de réparation est absurde, on ne compense pas la perte d’un être cher, par la souffrance d’un autre. On peut à la limite apaiser un sentiment de vengeance, mais rien de plus. L’exemple, on l’a vu a semble-t-il une portée bien limitée. Il y a toujours eu des peines, et toujours eu des crimes, des délits. Donc, peut-être que s’il n’y avait pas de peine, chacun volerait, tuerait, violerait… Peut-être est-ce uniquement cette peur du châtiment qui nous pousse à nous conduire correctement. Oui mais voilà, c’est rarement par la menace que l’on gouverne les gens, et si l’on ne fait pas ce qui est illégal, c’est surtout parce qu’on nous a appris a vouloir ne pas le faire. Aujourd’hui, si mon voisin m’énerve, je peux déjà le tuer, il suffit de bien s’organiser pour ne pas se faire prendre. Pourtant je ne le tue pas. D’autres peurs, d’autres interdits nous gouvernent, et ce n’est pas la peine en soi qui nous empêche de faire ce qui est proscrit. De plus, on a déjà vu que la peine n’est en rien garantie de sécurité. Au contraire, elle ne peut que provoquer une douleur et une rage chez celui qui en est le récipiendaire. La punition, semble en fait ancrée dans un schéma de pensée patriarcal. On punit celui qui s’est mal comporté, pour qu’il comprenne à quel point son acte était « mauvais ». Cette façon de voir les choses relève évidemment de la morale judéo-chrétienne, que l’on rejette facilement, sans pour autant discerner toutes ses applications. Mais peut-être, peut-on commencer à penser notre société autrement que dans ce type de rapport de domination et d’écrasement de ceux qui sortent du rang ? Et, remettre en question ces valeurs morales douteuses qui se veulent centrales ?

Pour conclure, je pense qu’il faudrait sortir du fantasme par rapport à l’insécurité. Il existe évidemment de l’insécurité. Il en a toujours existé, et il en existera toujours. C’est un impondérable. Chaque fois que l’on sort de chez soi, on risque de se prendre un bus, comme on risque de se faire tuer par un psychopathe, mais je ne vois pas là de raison suffisante pour penser le monde avec son ventre, et vouloir répondre par la démonstration de force aux cris de ceux qui ne s’adaptent pas. Cherchons plutôt à vivre ensemble, et à poser les vraies questions, comme de savoir dans quelle société nous voulons vivre. Entre la peur, la punition, la morale et la possibilité de partager les richesses et l’accès à la société avec tous les gens qui vivent autour de nous, personnellement, le choix est vite fait…

Résumé du livre d'Alice Miller, "C'est pour ton bien", et mise en parallèle avec notre problématique

A. Miller commence son ouvrage par une première partie : « L’Education ou la persécution du vivant ». Le titre est tout à fait explicite.


En citant largement un ouvrage « la pédagogie noire » de Katharina Rutschky (1977), elle expose les principes qui gouvernaient l’éducation au 18ème et 19ème siècle. Ces principes sont, en vrac, les suivants : nier la volonté de l’enfant, ses désirs, sa nature, pour lui imposer dès le départ un ordre de contrainte qui doit être accepté totalement et sans aucune remise en question. Dans cette période de formation du moi, et d’ouverture totale qu’est la petite enfance, les parents reproduisent cet domination qu’ils ont eux-mêmes subit, en s’efforçant de contraindre l’enfant, « pour son bien ». Et, « les motivations des coups sont restées les mêmes : les parents luttent pour obtenir sur leurs enfants le pouvoir qu’ils ont dû eux-mêmes abdiquer auprès de leurs propres parents. » Tous les moyens sont bons pour imposer cet ordre : manipulation, mensonge, menace, humiliation.

On cherche la « répression totale des sentiments ». « Une fois que l’on a suscité le « mal » par la répression du vivant, tous les moyens sont bons pour le combattre chez la victime. » On cherche à abêtir l’enfant, à juguler en lui la volonté de savoir. On l’éduque à ses dépends, car l’éducateur est garant d’un ordre juste, qu’il connaît, et qu’il transmet, et « quoi de plus simple que le principe selon lequel qui n’entend pas doit sentir ? » On cherche en même temps l’affection de l’enfant. On mélange cet ordre imposé avec l’affection, l’amour. L’un est même la condition de l’autre. On n’hésite pas à priver l’enfant de témoignage d’affection pour qu’il ploie. On peut aisément comparer la relation de l’éducateur à l’enfant avec celle de l’homme à Dieu. L’enfant, comme le croyant doit obéir sans chercher à connaître les raisons de la contrainte. L’ordre est ainsi absolu, au-delà de la réflexion. Et l’amour est utilisé comme moyen de coercition. « Qui aime bien châtie bien ».

Alice Miller montre que c’est cette éducation qui rend possible l’existence de totalitarisme. La « volonté » du sujet s’identifie pleinement à celle du pouvoir, comme on lui a appris. Et l’intelligence n’est d’aucun secours contre ce type de système : « l’aptitude à ne pas refuser la réalité perçue ne dépend pas le moins du monde de l’intelligence mais du rapport au moi authentique ».

L’enfant est pâte, qu’il faut modeler. Ceci est nécessaire, et expressément recommandé : « il faut rappeler aux parents intelligents que c’est très tôt qu’ils doivent rendre leur enfant docile, souple et obéissant et l’habituer à dominer sa propre volonté. C’est l’un des élements essentiels de l’éducation morale et le négliger est la plus grave erreur que l’on puisse commettre. » (FS Bock p.65).

Miller dresse une liste p.77 des principes de la pédagogie noire. Ensuite, p.78 elle fait la liste des opinions fausses que transmet cette pédagogie. On peut noter notamment : « on peut tuer la haine par des interdits ». De même : « les parents sont des êtres dénués de pulsions et exempts de toute culpabilité » ; « les parents ont toujours raison ». Ceci peut aisément faire penser au fonctionnement de la justice. La justice a toujours raison, elle se veut dénuée de pulsion de culpabilité, et cherche à combattre la haine par la répression.

Toujours dans cette optique de lecture de Miller au regard du fonctionnement de la justice, il est très intéressant de relever ce passage, p.82 : « Pour inculquer à l’enfant ces valeurs presque universellement reconnues, non seulement dans la tradition judéo-chrétienne mais aussi dans d’autres traditions, l’adulte doit parfois recourir au mensonge, à la dissimulation, à la cruauté, aux mauvais traitements et à l’humiliation, mais chez lui ce ne sont plus des « valeurs négatives » parce qu’il est déjà éduqué, et qu’il n’est contraint d’employer ces moyens que pour parvenir à l’objectif sacré, à savoir que l’enfant renonce au mensonge, à la dissimulation, au mal, à la cruauté et à l’égoïsme (…) en fait ce sont l’ordre hiérarchique et le pouvoir qui déterminent en dernier ressort qu’une action est bonne ou mauvaise ». Ceci peut être lu comme une explication du fonctionnement de la justice : force qui impose par des moyens réprouvable un ordre « juste ». Force qui représente ceux qui se sont adaptés, ont ployés, face aux autres : les inadaptés avec comme objectif de les faire rentrer dans le rang, de les « éduquer », quitte à les enfermer, à les humilier. Bizarre.

Miller développe dans les pages 86 92 le cas des gens s’étant enrôlé sous Hitler. Elle note que la seule chose que créée l’éducation la plus rigoureuse selon les principes de la pédagogie noire, c’est un vide intérieur, qu’on ne peut remplir qu’en obéissant aux ordres donnés.

Elle parle ensuite de la persécution des juifs : « Pour faciliter cette lutte contre tout ce qu’il y a d’humain à l’intérieur du moi, on fournit au citoyen du Troisième Reich un objet comme support de toutes ces réactions indésirables (parce qu’interdites dans la propre enfance du sujet et dangereuses) : le peuple juif. Un prétendu « Aryen » pouvait se sentir pur fort et bon, il pouvait se sentir au clair avec lui-même et moralement irréprochable, libéré des émotions « mauvaises » parce que relevant d’incontrôlables réactions de faiblesse, à partir du moment où tout ce qu’il redoutait depuis son enfance était attribué aux juifs, et où l’on pouvait et devait mener contre eux une lutte collective inexorable et toujours renouvelée ». (p.100). Là, avec des pincettes, on peut se demander si ce n’est pas (à un degré moindre) le rôle du groupe « délinquant » dans nos sociétés occidentales. En effet, ils sont une minorité constituée par la promulgation des lois, et contre laquelle on lutte sans cesse. Il ne s’agit certainement pas du même rôle, en ce que la rigueur et la tension de nos sociétés sont moindres que celles du Troisième Reich, mais toujours, la place de cette autre permet de décharger sa culpabilité, sa haine. Alors, bon, on ne déporte pas les délinquants, et on ne les extermine pas, donc l’analogie est limitée. Mais il me semble qu’il existe un rapport commun.

Sur la normalité, p.104 « Cette adaptation parfaite aux normes de la société, à ce qu’on appelle la « saine normalité », comporte bien évidemment le risque que le sujet en question puisse être utilisé à de nombreuses fins. » Ceci est très clair dans l’exemple nazi, mais peut aisément être étendu à toute société. Elle parle dans l’autre sens de ceux qui résistent : « l’individu qui, au sein d’un régime totalitaire, refuse de s’adapter, ne le fait guère par sens du devoir, ni par naïveté, mais parce qu’il ne peut pas faire autrement que de rester fidèle à lui-même ». Elle parle toujours dans cette même optique, du « caractère de prothèse des lois morales ». Ainsi, la morale, l’ordre qui s’impose ne sont là que pour combler un vide du moi créé par l’éducation. Quand on n’a plus à obéir, et qu’on a beaucoup souffert de son éducation sans se le dire, l’ordre doit représenter quelque chose d’attrayant, en ce sens qu’il nous dépasse et s’impose à nous comme le ferait un père.

Pour finir, Miller met extrêmement bien en avant comment sont corrélés les dérives politiques, morales, idéologiques et l’éducation de l’enfant. Alors, que faire ? Il s’agit d’un devoir personnel que de faire un travail sur soi pour éviter de reproduire ce que l’on a subi. Mais au niveau de la société et de son organisation, la question reste entière.

Dans la suite de son livre, Miller décrit le cas de 3 personnes amenées soit à se détruire elle-même, soit à détruire les autres, et elle montre comment l’étude de leur enfance explique totalement leur comportement.

dimanche 8 avril 2007

La peine : quelle peine ?

LA COUR ET LE JURY VOUS CONDAMNENT À LA PEINE DE VINGT ANNÉES DE RÉCLUSION CRIMINELLE.

Ce qui signifie :
Vous êtes condamné à vous mettre nu aussi souvent qu’on le jugera nécessaire pour être fouillé à corps, à montrer votre anus aux surveillants chaque fois qu’ils l’exigeront dans le cadre de leurs fonctions.
Vous êtes condamné à vous soumettre nuit et jour à leurs volontés.
Vous obéirez à tous les ordres, même à ceux qui vous sembleront ineptes ou uniquement mortifiants.
Vous êtes condamné à demander la permission pour tout.
Vous êtes condamné à vous tourmenter incessamment pour vos proches, sachant que vous n’apprendrez jamais que ce qu’on voudra bien vous dire.
Vous êtes condamné à être dépouillé de tout ce que vous possédiez, à n’avoir que de rares objets personnels qu’on peut vous retirer à tout moment.
Vous êtes condamné à ne plus disposer de votre temps, de votre avenir, de vos projets.
Vous êtes condamné à ne manger qu’une nourriture autorisée ; une fois par an à Noël, sous certaines conditions, si vous avez de la famille, vous aurez le droit de faire entrer des denrées de l’extérieur.
Vous êtes condamné à tout attendre : le courrier, les visites qui se feront de plus en plus rares, l’audience demandée au directeur, la consultation à l’infirmerie, le transfert de la centrale en centre de détention, le jour lointain en fin de peine où vous pourrez espérer une permission, l’aléatoire libération conditionnelle, la sortie. Cette vie d’attente vous rongera.
Vous êtes condamné à ne plus faire l’amour, à être séparé de l’être que vous aimez.
Vous êtes condamné à vivre votre jeunesse dans la hargne, au milieu d’individus désespérés, irascibles, déséquilibrés qui n’ont goût à rien et vous décourageront avec obstination d’entreprendre quoi que ce soit.
Vous êtes condamné à vivre votre désastre sans la consolation de personne ; si vous sombrez dans la dépression, vous serez condamné à prendre des cachets jusqu’à ce qu’on obtienne de vous l’abrutissement voulu. Vous n’aurez aucun contrôle sur votre santé.
Vous êtes condamné à ne pas voir grandir vos enfants, à être déchu de vos droits parentaux.
Vous êtes condamné à être coupé de la nature ; votre ciel sera tendu de gros filins contre les rêves d’évasion par hélicoptère.
Vous êtes condamné à vivre sans surprise ni beauté une vie rigoureusement monotone.
Vous êtes condamné à l’insignifiance de chacun de vos jours.
Vous êtes condamné à ne pas revoir votre mère ou votre père à ses derniers instants.
Vous êtes condamné à avoir peur de tous, des surveillants violents ou alcooliques, des délinquants pervers ou devenus forcenés. Cette peur vous rendra lâche. Vous en aurez honte.

Ce texte est tiré de l'ouvrage "Pourquoi faudrait-il punir ?" de Catherine Baker - Editions Tahin Party

Laïciser la Justice

Parmi toutes les institutions issues de la révolution de 1789 et des évolutions qui lui ont suivi la justice est celle qui est le plus restée ancrée à la culture de l'ancien régime.

On est confronté à un besoin de laïciser la justice en général et le système pénale en particulier. Pour ce qui concerne le mot justice lui-même, j'adhère au combat de Dominique Wiel qui dénonce un hold-up sur une des vertus cardinales. Il soutient que ce hold-up est l'une des causes de la rigidité des magistrats : se sentir en charge du respect d'une vertu induit une culture de défense du sacré, d'une mission quasi divine, d'une auto-légitimation...

Ce retard culturel peut également s'observer dans les rituels de la justice : les robes, la cour entre et on se lève, les excuses des prévenus aux « victimes » (l'honorable amende ?). Qui dit rite, dit mise en scène, dit que tout se décide ailleurs : le procès est-il juste un spectacle pour le peuple ?

Je cite R. Badinter : « [...] le public réclame le châtiment. Et si l'institution judiciaire n'assouvissait pas le besoin de punition, cela produirait une frustration formidable, qui se porterait alors sur d'autres formes de violence. Cela dit, une fois la dramaturgie judiciaire accomplie, la substitution du traitement à la punition permet la réinsertion sans toucher au rituel. Et le tour est joué. » (Foucault - Dits et écrits II – pag. 294 – Gallimard). Quel respect pour le peuple, les victimes, les prévenus, les institutions...!

Il nous faut également « a-moraliser » la justice : dans un contexte laïc la norme devrait remplacer la Loi et elle devrait avoir pour but d'assurer le bon fonctionnement de la société et non la défense d'une morale. Dans les prétoires, dans les comparutions immédiates etc. on parle trop de morale et pas assez de loi. Sortir de la confusion entre morale et loi nous permettrait entre autres de réfléchir différemment au travail de réinsertion. Cet ensemble de réflexions nous amène à repenser le sens de l'infraction et le sens de la peine.

Tous cela ouvre sur plus de problèmes que de solutions mais on ne peut pas se cacher derrière le fait que la concepion actuelle de la peine (un peu améliorée) simplifierait les choses pour faire l'économie de ces mises en questions.

dimanche 25 mars 2007

La prison, comment en sortir ?

Compte rendu de la conférence sur "la prison : comment en sortir ?", à science po, le mardi 6 mars 2007

Le premier intervenant à cette conférence a été le directeur de l’administration pénitentiaire : Claude d’Harcourt. Il se déclare "humaniste". Sa position est celle d’un praticien de la question pénitentiaire. Sur la question de la souffrance, il dit que les règles de la vie en société postulent l’existence de la prison. C’est un "choix" qui a été fait démocratiquement, et comme nécessairement l’enfermement entraîne la souffrance, cette question n’en est pas une. Le rôle de l’administration et du service public est alors d’apaiser cette souffrance dans un lieu qui la produit. Il dit ne pas fuir ses responsabilités, et déclare que la prison ne peut être une zone de non droit, car elle est créée par le droit.

Sur l’état des prisons, il admet qu’il en existe 25 insalubres qu’il "fermerait tout de suite" si il en avait les moyens. Il n’aborde pas la question de la surpopulation.

Sur la réinsertion, il donne les trois axes nécessaires selon lui à sa réussite :
- retrouver l’estime de soi
- pas de réinsertion sans "esprit de responsabilité"
- donner les éléments de bases (savoirs élémentaires)

Il note un paradoxe important dans la critique de la prison : comment réussir vis-à-vis des gens qui rentrent en prison, là où tout le reste de la société a échoué ? Il préfère alors parler de "préparation à la sortie" plutôt que de réinsertion. Il veut réformer la fonction publique, est pour l'efficacité du privé en prison, dénonce les lourdeurs du système.

Ensuite il y avait une magistrate, qui a surtout parlé des peines alternatives. Après il y a eu le prêtre ouvrier d'Outreau : Dominique Wiel. Il a placé son intervention sous le signe du témoignage. C’est un des accusés dans l'affaire d'Outreau qui a fait plusieurs mois de prison, alors qu’il était innocent. Son propos principal réside dans la dénonciation de la confusion qui existe entre la Justice comme vertu, et l’institution judiciaire, tenue par des hommes et qui s’est accaparé cette dernière. C’est selon lui un quiproquo, cause du raidissement des magistrats face à la loi. Pour lui, "la justice appartient à tous, pas aux juges".

En ce qui concerne la prison, son témoignage était très sobre. Il a répété plusieurs fois qu’il avait eu "beaucoup de chance", du fait du soutien constant dont il avait été l’objet. "Le moral d’un détenu, c’est l’extérieur". La prison est de son point de vue un monde totalement artificiel. Il existe dans ces lieux une telle concentration d’hommes que ça ne peut que "péter". Il a noté qu’il n’en avait toujours pas fini avec cette histoire, étant certain d’être encore sur les fichiers de la police.Il a recommandé à l'auditoire la lecture du livre "Pourquoi faudrait-il punir ?" de Catherine Baker.

Enfin, le dernier a avoir pris la parole a été Pierre-Victor Tournier, chercheur au CNRS. Il a parlé de son rôle de chercheur, de la nécessité d’accepter d’entrer dans le débat public, de faire acte de militantisme. Pour lui idéologie n’est pas un gros mot, il s’agit d’une vision du monde et de l’homme.

Il a parlé du conseil de l’Europe, sujet déjà évoqué par le premier intervenant, qui décrit la responsabilité individuelle dans le cadre de la responsabilité collective, avec une idéologie assez marquée de protestantisme, et de culture d’Europe du Nord. Cela dans le cadre du refus de deux idéologies : l’une sécuritaire et l’autre abolitionniste. Il a cité Michel Onfray pour qui parler de 0 prison tient de l’imposture intellectuelle, et a dégagé celles qui sont selon lui les véritables questions concernant la prison :

  • la surpopulation carcérale

  • faut-il augmenter le parc carcéral en France ? Ce qui est différent de construire de nouvelles prisons

Selon lui, le « parc optimum » serait de 45000 places. Il a noté que chaque année un million de personnes sont mises en cause pour un crime ou un délit. Il a parlé de la nécessité de mettre les prisons au cœur des débats présidentiels, et en ce qui concerne les chiffres (sa spécialité), il a noté avec amusement que plutôt que de chercher à chiffrer les programmes, tâche impossible et inintéressante, il fallait s’intéresser aux chiffres de la prison, car des solutions évidentes existent pour lutter contre la surpopulation notamment.

jeudi 15 mars 2007

Ouverture du dialogue

Nous voulons ouvrir une réflexion pluridisciplinaire sur le système pénal en Europe, et plus précisément sur la refonte de celui-ci. Il nous semble en effet que le système pénal actuel va à l'encontre de ses objectifs affichés, qui sont : la dissuasion, la protection, et l'intégration.

L'effet dissuasif de la peine tout d'abord est loin d'être atteint. Cet objectif de toute forme de droit n'a jamais empêché l'existence d'une criminalité. L'aspect dissuasif n'a jamais joué sur cette partie de la société que l'on appelle les "délinquants". La peine est considérée au mieux comme un "accident de travail", au pire comme un faire valoir.

La protection ensuite est un sujet d'actualité, et il semble là aussi que le sentiment d'insécurité persiste malgré la sévérité des peines. De plus, la peine est une réaction à posteriori, et donc elle ne représente aucune protection. Même les personnes considérées comme dangereuses ne peuvent être mises en prison toute leur vie.

L'intégration enfin, semble aussi pécher par son absence d'efficacité. Il est très difficile de trouver un emploi en sortant de prison, et le plus simple pour survivre alors semble être de retourner à la criminalité.

Le but de ce dialogue n'est pas de parvenir à des propositions concrètes, mais dans un premier temps de s'intéresser aux problématiques fondamentales, qui sont à la base de l'élaboration de toute règle de droit. Les problématiques qui vont nous intéresser dans un premier temps sont les suivantes : L'idée de peine, en quoi cette idée est naturelle, et quels problèmes elle pose. De même pour l'idée de crime : crime en soi, délimitation de la criminalité, crime et culture... Une réflexion sur les fondements qui gouvernent notre code pénal semble être à mener aussi.

Nous vous invitons à critiquer librement les écrits présents sur cette page, et à proposer d'autres pistes de réflexion, creuser les pistes proposées, et livrer vos analyses.