mardi 10 avril 2007

La culture en milieu carcéral

Ce texte est extrait d'un article que Jean-Baptiste Jobard a écrit pour "Prison-Justice" (la revue de l'ARAPEJ dont il est membre du comité de rédaction). Jean-Baptiste Jobard est également membre du Conseil d'Administration de l'ARAPEJ.

Limites et obstacles au développement culturel en milieu carcéral

« La prison, peine privative de liberté est dans son principe fondamental contraire à la création, qui la suppose » Michelle Perrot


Inflation carcérale, programme immobilier de construction de nouvelles prisons, absence de volonté politique de développement des peines alternatives à la détention, déficit de réflexion sur le sens de la peine, contexte «sécuritaire», inexistence d’une instance de contrôle de l’institution et d’évaluation des politiques pénales…Le contexte actuel limite les possibilités de croire à un rôle important du développement culturel en milieu carcéral.
[...] La question est [...] de savoir pourquoi dans la réalité de l’exécution des sanctions pénales, il est difficile aux actions culturelles de trouver leurs places.

De quelques obstacles à la culture en prison

[...] Ce manque de volonté est le produit des rouages d’une institution totale (telle que la décrivait Goffman dans Asile) dont peu d’observateurs ne constatent l’incompatibilité manifeste de ses deux fonctions : la garde et la resocialisation des condamnés. L’injonction paradoxale fondamentale dans laquelle évoluent détenus et personnels ne laisse que peu de place à un véritable espace d’intervention pour les actions artistiques. Pour l’ethnologue Léonore Le Caisne « Pénitentiaires et détenus se trouvent donc dans une situation en miroir : les uns inclus et relégués, les autres exclus et incarcérés »1 et dans ce contexte les représentations sociales que ces catégories se font de la culture les poussent rarement à considérer spontanément comme importantes les actions artistiques en détention. [...] Cette culture propre à la prison se caractérise par une aliénation subtile de l’identité. Être en prison ce n’est pas seulement être placé entre quatre murs mais c’est être mis dans une situation où « il est impossible de se construire ou de reconstruire (…), un lieu de déconstruction de soi2 ». [...] Un autre travers chez les artistes et opérateurs culturels est la difficulté qu’ils ont, parfois, à concevoir leur démarche comme partie intégrante de la dynamique principale qui devraient gouverner toutes initiatives en direction du milieu carcéral : le principe de l’accès au droit. En l’occurrence, il s’agit de l’accès au droit à la culture mais il importe de ne pas séparer ce maillon de la chaîne des autres : accès au droit à la santé, aux droits sociaux, au droit du travail, à l’éducation etc. Il arrive encore que les intervenants culturels, victimes d’une sorte « d’ethnocentrisme professionnel » se posent davantage de questions sur la nature de leur action (suis-je dans la culture ? ou dans l’infamant socio-culturel ? Ma démarche repose-t-elle assez sur la sacro-sainte « exigence artistique » ?) que sur la manière dont elle peut et doit s’articuler, entrer en cohérence, trouver une synergie avec les initiatives des autres intervenants dans cette perspective fondamentale de l’accès au droit.

Culture en prison : utopie et résistances


La difficulté à considérer avec optimisme l’impact profond du travail culturel en milieu carcéral amène à se ré-interroger sur les principes fondamentaux qui gouvernent cette action et notamment à revenir sur un concept cardinal : celui de la transformation.
En effet, sur quoi repose le projet de la prison républicaine3 ? Sur la même idée qui conduit à proposer une action artistique à des détenus : l’idée qu’un homme n’est pas réductible à un acte (aussi délictueux ou criminels fut-il) et qu’il est capable d’évolution. « Désigner quelqu’un substantivement comme criminel signifie nier en lui tous les autres aspects de sa vie qui ne sont pas fondamentalement criminels » écrivait déjà Hegel. Edgar Morin ne dit pas autre chose en soulignant « qu’essayer d’expliquer, de comprendre les conditions d’un acte criminel n’est pas pour autant l’ignorer ou l’excuser. Il est là. Mais cela étant dit, il est permis de le situer et de ne pas réduire tout ce qui fait partie de l’être à l’acte, de l’enfermer dans cet acte passé, surtout alors que le temps passe après cet acte passé, de l’enfermer toujours dans la réitération de cet acte comme si c’était le seul acte de son existence. » Justement qu’est-ce que proposer un projet artistique à un prisonnier si ce n’est « ne pas le réduire à un seul acte de son existence » et ne pas réduire sa qualité d’homme à sa seule condition –temporaire- de détenu et de coupable, ce en quoi, même en détention, consiste déjà une première liberté. Il est bien évident que préparer un coupable à se réinsérer est « le plus grand service que l’institution peut rendre au détenu qu’un jour elle doit bien relâcher et par contrecoup à la société qui doit alors l’accueillir »4. Toute la difficulté est alors, en quelque sorte, de s’adresser à l’homme pour toucher le coupable, c'est-à-dire qu’une réinsertion ne peut se concevoir sans un travail préalable sur le mal commis (auprès de la victime et du corps social dans son entier).

Il s’agit de tenir à la fois le fait que l’acte criminel n’est pas effacé, ne peut pas être effacé, ne sera jamais effacé avec le fait que celui qui l’a commis peut malgré tout se transformer. Dans quelle mesure, l’action artistique peut aider le détenu à accomplir cette démarche personnelle très exigeante de préhension et de dépassement de sa culpabilité ? Il y a probablement dans l’expression artistique une mise en mouvement de ressorts intimes et profonds favorisant simultanément une renarcissisation et une fragilité propre à l’évolution personnelle. Lorsque ces effets spécifiques de l’expression artistique sont travaillés et inclus dans le cadre plus global de l’accès aux droits, alors on assiste à rien de moins que la réactivation du rôle républicain de la prison. Il s’agit non seulement de réaffirmer que malgré la peine affligée, le détenu reste partie intégrante du corps social mais son retour est attendu, dès lors qu’on lui aura donné les moyens de se transformer lui-même.

On le voit ses perspectives théoriques sont extrêmement difficiles à saisir, à concrétiser et elles ne seront jamais atteintes tant que nous nous placerons dans la fatalité de cette oscillation permanente entre les deux missions de l’institution. Hélas l’expérience de ces deux dernières décennies tend à prouver que le développement culturel en milieu carcéral n’a pas été capable de sortir la prison de sa schizophrénie.

Ainsi, nous sommes contraints de positionner l’action des intervenants culturels dans une autre oscillation permanente : entre utopie et résistance. Utopie en affirmant qu’ils sont par le principe même de leur action dans la réactivation des objectifs républicains de la prison mais condamnés, en même temps par le système que j’ai essayé de décrire, à l’impossibilité d’atteindre ses objectifs et que, cela étant, ils ne peuvent finalement être que dans la résistance aux effets les plus délétères de la prison et à ses tendances les plus rétrogrades, primaires et bassement (mais humainement) vengeresses.

1 Page 77 Prison, une ethnologue en centrale Editions Odile Jacob
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Page 13 Prison, une ethnologue en centrale Editions Odile Jacob
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J’entends par là : la prison républicaine depuis 1981, c'est-à-dire depuis qu’elle est débarrassée de l’ombre de la guillotine même si cette ombre existe toujours d’une autre manière à travers le « temps infini » pour reprendre l’expression d’AM Marchetti des perpétuités.
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Claude Lucas Suerte. Terres humaines

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