Loïc Wacquant est un sociologue français qui vit et enseigne aux Etats-Unis. Il fait partie du collectif Raison d’Agir, un collectif d’intellectuel monté en 1995 autour de Bourdieu.
J’ai été poussé à lire ce livre par un ami prof de philo à qui j’avais parlé de notre question de la peine. Il m’a dit de lire ce livre ainsi que tout ceux de la collection Raison d’Agir.
Je pense que la thèse de ce livre peut se résumer assez rapidement : Loïc Wacquant montre comment il y a eu un mouvement visant à criminaliser la misère pour imposer aux masses déshéritées le salariat précaire aux Etats-Unis, et comment ce mouvement atteint nos sociétés européennes. C’est ce qu’il appelle le passage de l’Etat-providence à l’Etat-pénitence.
La force de ce livre me semble la construction sur des données factuelles. Nous sommes assommés de chiffres choquants, de citations odieuses. On a l’impression que Wacquant met au jour l’idéologie qui sous-tend à cette politique de domination, qu’il nous invite à l’indignation face à l’évidente inanité qui précède la mise en place de l’ordre néo libéral, dont ce qu’il décrit est l’envers nécessaire.
Wacquant met au jour les propos des lobbys américains qui théorisent la tolérance zéro, et l’idéologie du « carreau cassé », dans la foulée des expériences menées à New-York. Il montre par exemple comment le Manhattan Institute, un puissant think-tank néo conservateur a fait de Charles Murray un intellectuel reconnu, en diffusant ses thèses (p. 14, 15, 16, 17). Il faut lire les passages cités de The Bell Curve, un des livres de Murray qui explique que les inégalités raciales et de classes dépendent de différences de QI.
Pour Wacquant, le triptyque fédérateur de cette nouvelle droite américaine est « marché libre/responsabilité individuelle/valeurs patriarcales », et la méthode pour toucher la classe moyenne qui vote est « le harcèlement permanent des pauvres dans les espaces publiques ». Avec au sein de la police new-yorkaise une culture très stricte du résultat.
Bref, pas besoin d’insister, ce livre, écrit il me semble avant 2000 décrit là de manière quasi prophétique l’évolution de notre société.
Je n’ai cité là qu’un des aspects développés dans ce petit livre très dense. L’analyse continue toujours aussi incisive et éclairante.
Je ne sais que penser finalement de ce que nous apprend le livre. La mise en lumière du tournant que prend nos sociétés remplis à la fois d’indignation et d’un sentiment d’impuissance face à la tâche qui attend toute ambition de résistance. Wacquant montre que notre problématique de réflexion sur la peine et le châtiment s’inscrit dans un mouvement d’ampleur plutôt récent et qui doit être compris de manière globale. Cette inflation carcérale n’est que le versant de la précarisation instaurée par l’évolution socio-économique des 30 dernières années. Et toute tentative d’analyse puis de résistance et de contre proposition ne pourra faire l’économie d’une vision globale du problème et de nos sociétés.
Loïc Wacquant : Les prisons de la misère ; éd. Raisons d'Agir ; 7€